Une Soirée Chez Maupassant

Publié le par Marie Bouquine

Une Vie, Guy de Maupassant, 1883

Bel Ami, Guy de Maupassant, 1885

 

Maupassant-001-copie-1.jpgEn panne de lecture cette semaine, je ne vais pas vous parler du programme de France 2 du mercredi soir (inégal du reste, certaines nouvelles sont très bien adaptées, d’autres moins bien) mais de deux romans de Maupassant que j’ai relus cet hiver : Une Vie et Bel Ami. Car après tout, lorsque la littérature contemporaine nous lasse, nous déçoit ou lorsqu’on ne sait tout simplement plus quoi lire, malgré une lecture assidue de Marie Bouquine et d’autres sources, rien de tel qu’un bon grand et vieux classique !

Prenons tout d’abord Une Vie qui aurait pu s’intituler L’ Education Sentimentale d’Une Jeune Fille Naïve. Paru tout d’abord en feuilleton dans le journal Gil Blas en 1883, le premier roman de Maupassant est publié la même année. Il y raconte la vie de Jeanne Le Perthuis des Vauds et son cruel apprentissage de la vie. L’histoire commence avec la sortie du couvent de Jeanne, âgée de dix-sept ans. Elle est la fille unique du baron Simon-Jacques Le Perthuis des Vauds, rousseauiste débonnaire, et de son épouse Adélaide, femme douce et exaltée souffrant de son fort embonpoint et de maladies imaginaires. Très choyée par ses parents, elle est parfaitement ignorante des difficultés ou des épreuves que la vie peut réserver. Elle est aussi très naïve et a une vision idéaliste et romantique de l’amour. Les Perthuis s’installent dans la propriété familiale des Peuples en Normandie, au bord de la mer. Jeanne y rencontre le vicomte Julien de Lamare qu’elle épouse très vite. Et là commence le long chemin de croix de Jeanne. Julien va se révéler cupide et avare, volage et violent. Il connaîtra une fin tragique avec l’une de ses maîtresses. Jeanne transférera alors son trop plein d’amour et ses rêves de vie parfaite sur son fils Paul qui tournera mal. Le roman s’achève cependant sur une lueur d’espoir grâce à une autre vie qui vient d’éclore et qui redonne envie de vivre à Jeanne et de découvrir cette autre vie qui sera peut-être meilleure que la sienne.

Dans Une Vie, Maupassant dénonce la maigre éducation des jeunes filles de l’époque qui se retrouvent ensuite démunies face aux épreuves. A travers les personnages de l’abbé Picot et de l’abbé Tolbiac que tout oppose il critique aussi l’hypocrisie et les travers de l’Eglise. Mais au-delà de ces sujets qui relèvent plus particulièrement de leur contexte de fin du 19ème siècle, Une Vie demeure un roman intemporel qui raconte la triste désillusion d’une femme trop idéaliste, trop rêveuse et trop naïve. Jeanne est loin d’être sotte, ce n’est pas une « anti-héroïne » comme l’est Julien de Lamare même si Maupassant se moque de temps en temps de l’optimisme bucolique et romantique de Jeanne et de ses parents, qui relève du début du 19ème.  Les défauts vulgaires de son époux font au contraire ressortir sa bonté et sa simplicité. Elle est en fait en dehors des réalités et, à trop idéaliser sa vie, elle va vivre un cauchemar. A lire Une Vie, le lecteur se prend à penser souvent : « cette pauvre Jeanne ! » et ressent de la pitié et de la sympathie pour cette héroïne sur la tête de laquelle tombent toutes les tuiles possibles  (le mari volage et radin, le fils indigne, la mère malade, la fortune dilapidée, le curé extrémiste…) C’est un roman sombre, tel un paysage de Normandie, en hiver , au bord de la mer par un temps gris et glacial. Mais je trouve que c’est un roman dont le thème principal est intéressant et on évite de justesse de tomber dans le glauque et de refermer le livre en pensant « quelle vie de m - - - e » grâce à l’ouverture optimiste de la fin. A lire donc parce que la littérature n’est pas faite que pour être joyeuse et comme je dis souvent : « On n’est pas chez les Bisounours » (oui Marie Bouquine est philosophe à ses heures perdues)

 

Voyons Bel Ami à présent. Alors là, rien de triste, le roman raconte l’ascension sociale de Georges Duroy qui réussit grâce à un opportunisme redoutable et grâce aux femmes. Mais là non plus nous ne sommes pas chez les Bisounours, comme souvent avec Maupassant ! C’est un roman sur le pouvoir, la réussite, l’argent, le sexe et la manipulation. Au début de l’histoire, Georges Duroy, ancien soldat, travaille pour un salaire de misère à la Compagnie des Chemins de Fer et a des rêves de grandeur. La rencontre fortuite avec son ancien camarade de régiment, Charles Forestier, va bouleverser sa vie. Ce dernier a réussi dans la presse et va prendre Duroy sous sa protection en le faisant devenir journaliste et en le présentant à plusieurs personnes influentes. Les conditions de vie de ce brave Duroy s’améliorent tout d’abord grâce à sa première maîtresse, Clotilde de Marelle. Puis à la mort de Forestier, il va réussir  à épouser la belle et brillante Madeleine Forestier. Les habits de Forestier ne lui suffisant plus, il va dompter la pieuse et fidèle épouse de son patron avant de dévoyer sa fille cadette. Chaque femme fait monter Duroy dans l’échelle sociale et l’enrichit. Chaque femme fait perdre à Duroy un peu plus de moralité et de valeur. Ainsi d’un personnage sympathique, il devient horripilant mais aussi fascinant à la fin du livre.

Ce roman offre une riche description de la presse et de la société parisienne de la fin du 19ème siècle et c’est l’un de ses atouts majeurs. Comme dans Une Vie, le thème principal de Bel Ami, la soif de réussite, est intemporel. Tout comme la description des vices d’une certaine partie de la haute société parisienne où règnent des collusions nauséabondes entre des hommes politiques, des journalistes et des hommes d’affaires tous aussi corrompus qu’avides. A nouveau, le rôle dévolu aux femmes dans Bel Ami me fait penser que Maupassant était probablement un peu misogyne. Même Madeleine Forestier, dont l’intelligence et le talent dépassent ses époux, finit par être discréditée par ses aventures. Soit elles sont faibles comme Mme Walter (ou Jeanne dans Une Vie), soit elles sont aussi fourbes que les hommes comme Clotilde ou Madeleine. J’avais adoré Bel Ami lorsque je l’avais lu pour la première fois (je devais avoir 15 ans), je dois reconnaître que je l’ai moins aimé en le relisant sans que je sache vraiment pourquoi. Cela dit je préfère Bel Ami à Une Vie.

 Le rythme trépidant de Bel Ami, la richesse des thèmes et des personnages ainsi que la vitalité qui s’en dégage expliquent les nombreuses adaptations cinématographiques. Vous conviendrez de l’extrême « branchitude » de Marie Bouquine qui  vous propose de (re)lire Bel Ami au moment où on tourne une nouvelle adaptation avec Robert Pattinson, un acteur à la mode chez les ados, mais aussi Uma Thurman et Kristin Scott-Thomas, rien que ça ! Il serait certes plus difficile d’adapter Une Vie dont le rythme est lent et monotone (ce qui s’accorde tout à fait avec le sujet du roman).

Je conclurai donc ainsi : « Bonne soirée chez Maupassant ! »

 

« Le quart d’heure confiture littéraire » pour étaler votre culture littéraire !

NB : Les candidats au bac de Français sont priés de ne pas répéter mon interprétation !

 

Vie de Maupassant

Guy de Maupassant, né le 5 août 1850 au château de Miromesnil à Tourville-sur-Arques (en Haute Normandie), est le fils de Gustave de Maupassant et de Laure Le Poittevin, amie de Gustave Flaubert.

Il grandit en Normandie à Etretat puis à Rouen et gardera un amour profond pour cette région qui sera le cadre de nombre de ses ouvrages littéraires. Il s’installe à Paris en 1869 où il étudie le droit. Après la guerre de 1870 contre la Prusse il devient employé au Ministère de la Marine puis de l’Instruction Publique tout en écrivant le soir. Flaubert sera son mentor et lui présente Zola. Il écrit pour Le Figaro, Gil Blas ou Le Gaulois. En 1880, Les Soirées de Médan est publié. C’est un recueil écrit à Médan chez Zola où ils se réunissaient par Zola, Maupassant (Boule de Suif), Huysmans et trois autres qui ne sont pas passés à la postérité.

En 1881, Maupassant publie son premier recueil de nouvelles, La Maison Tellier et en 1883, son premier roman Une Vie. Il écrira ensuite six romans en dix ans dont Bel Ami (1885) et Pierre et Jean (1888). A partir de 1890, Maupassant, qui souffre de syphilis depuis de longues années, est de plus en plus malade. La folie qui pointait dans Le Horla (1885, je l’ai lu à 12 ans et j’en garde le souvenir d’un roman puissant et terrifiant) envahit de plus en plus Maupassant comme son frère, mort interné en 1889. Après une tentative de suicide dans la nuit du 1er au 2 janvier 1892, Maupassant est interné à la clinique du Dr Blanche où il meurt le 6 juillet 1893.

 

Influences et style :

Maupassant a beaucoup appris de Flaubert auquel il dédie Une Vie. Personnellement je n’ai jamais tellement perçu la filiation à part dans l’esthétique mais elle est établie par des critiques littéraires chevronnés, donc je m'incline. Je trouve Flaubert soporifique et je ne comprends pas pourquoi c’est l’auteur le plus cité par les romanciers américains, il doit y avoir un puissant lobby flaubertiste aux USA…

Réalisme / Naturalisme : Maupassant n’est pas un auteur appartenant au groupe des naturalistes comme Zola contrairement à ce que l’on dit souvent. Il se revendique écrivain « réaliste » tout en reconnaissant les limites du roman réaliste, toujours écrit au prisme de l’auteur et représentatif donc d’une certaine vision de la réalité. « Le réalisme est une vision personnelle du monde qu’il (le romancier) cherche à nous communiquer en la reproduisant dans un livre ». « C’est toujours nous que nous montrons ». Bon mais ne nous évertuons pas à appliquer des frontières trop solides entre réalisme et naturalisme. En effet, Balzac ou Stendhal  sont les pionniers du réalisme qui s'impose ensuite chez Flaubert ou Maupassant avant de se mêler enfin au naturalisme chez Zola.

Balzac, Zola et Maupassant : Contrairement à Zola, Maupassant ne procède pas à des analyses biologiques sur l’hérédité ou l’influence du milieu naturel sur l’être humain. Il ne s’attache pas non plus aux subtilités psychologiques des personnages qui ne sont pas décrites et analysées comme chez Balzac mais suggérées. A la différence de Balzac, Maupassant ne se livre pas non plus à de longues descriptions, son style est plutôt concis.

 

Il se dégage de l’ensemble de son œuvre, une vision assez sombre de l’être humain, ses personnages principaux sont souvent médiocres par leurs qualités morales ou leurs aspirations. Cependant, il adopte souvent une distance moqueuse par rapport à ses personnages et dans la plupart de ses romans on retrouve donc des passages très amusants par leur humour sarcastique (tout ce que j'aime)!

 

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J
<br /> Copine! Je suis trop fiere...j'ai lu Bel-Ami et Une Vie! Youpi !!!<br /> <br /> <br />
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